L’Aïkido, c’est dur !

 

Voici un texte que j’avais écris il y a, euh, un certain temps.
Prévu à l’origine pour feu le journal de la Ligue Midi-Pyrénées, je le sors de ses cartons et le livre à vos réflexions.
C’est un peu long, mais tellement bien ! 😉

 

L’Aïkido, c’est dur ?

L'aïkido, un mur ? On est foutu, on ne peut pas passer ?

Souvent, on dit et entend dire que l’aïkido c’est long à apprendre, à comprendre.
Et certains se demandent pourquoi il faut tant de temps pour acquérir les techniques entre chaque grades ou pour avoir des sensations et acquérir des mouvements qui intellectuellement semblent évidents.

En effet, dans d’autres arts martiaux, la progression est visiblement plus rapide. En vrai ou en impression, ce n’est pas mon débat.
Oui, l’Aïkido, c’est difficile.
D’ailleurs, beaucoup abandonnent dans le premier trimestre, voire les deux premiers mois.
Alors, si on rajoute la vision que l’Aïkido peut avoir pour des gens extérieurs, même des pratiquants d’autres arts martiaux, cela peut démotiver.
Et c’est assez ennuyeux, car, normalement, le chemin est différent entre chaque art, même dans les branches différentes d’un même art, alors que le but est le même : Progresser techniquement, bien sûr, mais développer son esprit.

Donc, pour continuer l’image, ce n’est pas un mur, plutôt une montagne… dont le haut est caché dans les nuages.

Une montagne à gravir...

L’idée des arts martiaux japonais était de former les jeunes, physiquement, mais moralement aussi.
Une culture physique alliée à une culture civique (suppléant à notre service militaire).
J’imagine que ce doit être vrai pour la plupart des arts martiaux, mais je connais principalement l’Aïkido et des arts martiaux japonais, aussi me centrerais-je uniquement sur l’Aïkido.

L’aïkido, c’est long, très long, mais alors très long à comprendre que, au bout, il n’y a pas de bout.
On commence avec la volonté d’être plus fort, plus rapide, plus ceci ou cela. D’arriver en haut de la montagne, celui qui
va être le meilleur ou au moins le plus fort. Pour se défendre, pour se sentir plus tranquille…
Pour continuer, il faut changer cet esprit, cette idée de but en tous cas.
Heureusement, pas d’inquiétude, ce changement se fait par la pratique.

Il est intéressant de voir l’évolution générale d’un pratiquant.
Au début, on y connait rien, tout est complexe, les mouvements, les sens de torsions, les immobilisations, les déplacements.
Il faut à la fois bouger (non, de l’autre côté), agir sur l’autre (non, l’autre main), comprendre les noms, les sens de mouvements et savoir attaquer aussi (non, pas comme ça, c’est dangereux) tout en étant souple (non, là, ton dos est mal placé) pour ne pas se faire mal à soi-même, pour ne pas se mettre en danger alors qu’on ne voit pas la différence !
Et tous ces « non » que je viens de placer : Heureusement, un enseignant ne les exprime pas, ce serait décourageant.
Et ce serait oublier que l’on a vécu ces étapes. Pire : On continue à en vivre ! Ne devrais-je pas dire « Mieux » ?

En fait, au début, on se dit « Ou je suis complètement à la masse, ou ils sont tous anormaux ».
En fait, ni l’un ni l’autre. On ne sait pas, c’est tout. Et il y a ceux qui ont appris.
Je le répète souvent, mais nous avons tous commencé en ne sachant pas : En ne sachant pas faire, en ne sachant pas bouger, en étant décalé, en retard. Et ça arrive encore. Normalement, moins souvent, et avec moins de monde ! (Vœux pieux…)

Puis, un jour, on arrive à faire des choses, à immobiliser, à faire tomber ! On en est aussi étonné que celui qui a chuté !
On peut commencer à penser que l’on sait quelque chose, que au fond, quand on a compris, c’est facile.
D’ailleurs, à regarder, c’est facile, non ? C’est lent, gentil, évident…
Et là, constat :
– Il faut du souffle ! Parce que les chutes, les projections, les déplacements, ben, ça travaille le corps !
– Ce n’est pas lent, c’est à la bonne vitesse, celle donnée par le niveau de chacun, on ne se presse pas, on s’accorde.
Et il faut pouvoir tout faire en gardant de l’air dans ses poumons.
– Ah, ce n’est pas si gentil, ben oui, on se fait projeter, immobiliser. En fait on s’aperçoit aussi que si l’on fait des mouvements et des techniques, on apprend aussi à les subir. Ah, ça demande donc du souffle, et y aller lentement au départ, ben, c’est plutôt bien…
– Non, ce n’est pas évident. Ah oui, bien sûr, le principe de « si je mets ma main là et mon pied là, alors, l’autre, il tombe ». Puis, on le fait. Enfin, on re-essai de le faire. Puis ça ne marche pas, pas bien, pas trop… Ce qui demande de la réflexion, du temps, de l’adaptation, de la gentillesse de la part de l’autre pour qu’on ait le temps de comprendre…
Forcement, on a l’impression que : On a aucune forme physique, on est pas totalement coordonné, qu’on est un gros bourrin, tout sexes et âges confondus (rayer la mention inutile).
Et là, beaucoup arrêtent.

Mais je continue, je m’accroche parce que j’ai senti que, derrière, il y a quelque chose à trouver, à comprendre, à chercher à atteindre.

Deuxième niveau : Là, c’est évident qu’on ne sait rien. Du coup, on sait que l’on va apprendre. Un jour, on va tomber sur le niveau avec le Boss, celui où il faut la trousse de secours et l’arme du niveau 10.
Non, non, non. Encore tout faux. Vous ne passez toujours pas les techniques montrées, vous sentez que vous forcez alors qu’il ne faudrait pas. C’est mieux, avant vous ne le sentiez pas…
Mais sur le moment, on ne le voit pas comme ça.
Certains s’y agacent, d’autres « mulent » plus, d’autres moins. Mais là, on donne plus, on revient avec le keikogi tout mouillé. Et en plus, on a appris des mots en japonais. (Pas forcement utiles en visite au Japon, mais c’est un début.)

En gros, là, il faut pratiquer, encore, oui, encore un peu, là. Et on reprend…
Voilà ! Là, on s’aperçoit que l’on en sait encore moins que quand on imaginait ne rien savoir. Oups…
En fait, avec le temps et la pratique, un jour, il y a un moment flash. Durant un cours, une technique passe, toute seule, sans prévenir. « Ouais ! J’ai compris !!! ». Et on s’emballe. 5 minutes. Avant de comprendre que, en fait, non, ça veut plus marcher. « Pourtant, je l’ai fait là, y’a 6 minutes, maintenant, mais là, ça veut plus. »
Comme je veux avancer, je continue malgré cet arrêt brutal d’un éclair de compréhension.
J’aime bien l’image de dire, que, pour tous, on a 3 secondes de 3ème dan, 2 secondes de 4ème, 1 seconde de 5ème…
Là, on se dit qu’enfin, on a appris quelque chose. Et on veut que le coup d’après, ce soit 5 secondes de 3ème dan, puis 2s de 6ème dan, etc…

Entre temps, il y a eu des nouveaux. Ils ont l’air perdus, ils n’arrivent pas à différentier leur gauche de leur droite, pour se déplacer, ils ne savent même plus où sont leurs pieds, alors, se servir de leurs mains…
Ils sont confus, bien perdus, et mais… , ça rappelle quelque chose… Ou quelqu’un. Ah oui ! Soit-même, il n’y a pas si longtemps. Sont-ce des mois ? Des années ?
Mais grâce à eux, ces nouveaux, vous vous apercevez que vous avez progressé ! Que vous n’êtes plus aussi « gourd » qu’au début. Ben oui, ceux qui ont commencé en même temps que vous, ils ont progressé en même temps, vous n’avez pas vu de progression par rapport à eux ! Puis, votre prof, il est toujours devant, et vous n’y arrivez pas.
C’est en ça que c’est dur : L’impression de ne pas avancer, de stagner, de même reculer, parfois.

Et la relativité nous rattrape : Si on regarde les plus anciens, ils ont progressé, mais sont toujours plus anciens, comme si on regarde les débutants, ben, on se sent plus ancien. Ah ben, c’est pas de la relativité alors. C’est la réalité !

Donc, par votre enseignant qui pratique depuis 20 ou 40 ans, vous voyez enfin que le long chemin, ce n’est pas celui imaginé au début (si, là, vers les premières lignes en haut), non, ce n’est pas une montagne à franchir, c’est un chemin, et il n’a pas de fin. On apprend toujours. Et du coup, passer au dernier niveau avec le Boss de fin n’a donc aucun intérêt.
Et les nouveaux, ils trouvent qu’on bouge trop vite, qu’on se déplace du bon côté, qu’ils n’y arriveront jamais… Ben, alors, continuons.

Avec ce nouveau point de vue, on s’attache plus à des détails, à des sensations. Les anciens ont un truc qui passe mieux.
On nous a dit depuis le premier cours de ne pas forcer, de baisser ses fichues épaules qui n’en font qu’à leur tête…
Mais en regardant bien, c’est pas con ! En fait, c’est bien ça qu’il faut faire. (Si on avait su… 🙂 🙂 )
Depuis le départ, on sait ce qu’il faut, le problème, c’est de le réaliser sur le papier, dans la tête, sur le tatami et dans le corps !
C’est pourquoi les anciens doivent bien être « gentils », puis il faut effectivement travailler « lentement » pour enregistrer
correctement un mouvement, pour que le corps le comprenne. D’ailleurs, même à cette vitesse, on a appris à respirer,
lentement, rapidement, la respiration est partout, de la première minute à la dernière, de la préparation au salut de fin.
Et on a aussi acquit du souffle.
De la magie ? Non. Même sans compétition, une activité physique, c’est formateur. Il est heureux qu’en plus, on y découvre
une progression mentale dans le même temps.

 

Personnellement, je compte continuer à chercher.

 

Voilà, je montre, démontre, redémontre que le chemin est long. Oui, puisqu’il n’y a pas de fin.
Restons donc dessus, avançons, suivons notre « DO » dans sa forme « AÏ KI ».

 

Yannick.